Chaque mois, Paris Match et Waww La Table convient artistes et personnalités à se retrouver autour d’un grand chef, afin de célébrer le repas gastronomique des Français. Pour les fêtes, rendez-vous chez Prunier.
Le but du festin est de nous rendre meilleurs: c’est toute la morale du «Festin de Babette», de Karen Blixen. Ainsi faudrait-il sa plume pour rendre compte des somptueux dîners organisés par les nouvelles demoiselles de Rochefort de la gastronomie, Arabelle Reille et Péri Cochin, qui ne sont pas sœurs jumelles mais copines de trente ans.
Il y a un an, alors que la pandémie ravageait le monde, elles eurent l’idée de présenter chaque semaine, sur Instagram, le concours de la plus belle table, Waww La Table , sous l’égide d’un jury d’experts composé de Stéphane Bern, d’India Mahdavi et de Thierry Marx. Simultanément, elles décidaient de convier chaque mois des membres du gotha à un voyage dans le temps, ressuscitant l’époque où l’aristocrate Grimod de La Reynière proposait en pleine Terreur des festins fastueux qui sont entrés dans la légende. Né en 1758, cet esthète (mort d’apoplexie en mangeant une dinde aux marrons le soir de Noël 1837!) s’était en effet fixé pour but d’inculquer à la nouvelle classe dirigeante les bonnes manières de la noblesse. Avant Grimod, le mot gastronomie n’existait pas. Dans son déroulement, le repas gastronomique des Français, inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, est né à cette époque charnière.
La formule d’Arabelle et de Péri est simple: un lieu, une mise en scène, des invités et un grand chef. C’est ainsi que, le 6 décembre, elles ont orchestré la cérémonie Waww Le Dîner au restaurant de fruits de mer Prunier, dans la salle à manger privée l’Izba, que Pierre Bergé avait fait repeindre à la feuille d’or et décorer par Jacques Grange en 2000, après avoir racheté l’établissement classé monument historique. La table de 18 convives était ornée d’un magnifique décor floral signé Lachaume. Les assiettes en porcelaine provenaient de la manufacture italienne Ginori 1735, à Florence (qui vient d’ouvrir une boutique à Paris). Dans cette ambiance intimiste et tamisée, la «mayonnaise» n’a eu aucune peine à monter entre Patrick Bruel, le chef Gilles Goujon dont il est un grand fan, Sophie et Jacques Séguéla, Pauline et Jean-Charles de Castelbajac, Emmanuel Perrotin, Constance Benqué, et la gagnante du concours de la plus belle table, Annick Denis-Bertin.
Pendant que le champagne Dom Pérignon Plénitude 2000 au nez de brioche (fourni par Moët Hennessy) scintillait dans les coupes en cristal, le chef trois étoiles Gilles Goujon, venu spécialement de son Auberge du Vieux Puits dans les Corbières, réalisait un dîner d’anthologie avec Paul et Enzo, ses deux fils, et Axel qu’il considère comme tel. Quel ballet fascinant que celui «dansé» par ces complices qui se comprennent à demi-mot! Goujon est une force de la nature, un taureau qui fait de la dentelle… Pour accompagner le caviar Prunier, il a fait sous nos yeux des blinis aussi légers que l’air (sans beurre, à la farine de sarrasin), dont il a refusé de nous dévoiler la recette… C’est d’ailleurs pour cela que la cuisine était vide: pas question de révéler ses trucs! Sachez seulement que tous les chefs-d’œuvre du chef ont été servis, de la «Fleur de courgette cristal farcie d’un sorbet de homard» au «Vrai faux citron de Menton délicatement cassant» en passant par son célèbre «Œuf poule “Carrus” pourri de truffes melanosporum», devenu un classique de la cuisine française… Un instant, on a cru qu’il allait entamer une partie de poker avec Patrick Bruel, pendant que Jacques Séguéla racontait ses souvenirs: un festin réussi!
Emmanuel Tresmontant